Dans un monde où l’innovation est reine, la préservation des savoirs ancestraux se heurte à la machine bien huilée du système des brevets. Comment concilier protection de la propriété intellectuelle et respect des connaissances traditionnelles ? Plongée au cœur d’un débat juridique aux enjeux planétaires.
Les savoirs traditionnels : un patrimoine menacé
Les savoirs traditionnels représentent un trésor inestimable pour l’humanité. Transmis de génération en génération, ils englobent des connaissances sur la médecine, l’agriculture, la gestion des ressources naturelles et bien d’autres domaines. Ces savoirs, souvent détenus par des communautés autochtones, sont aujourd’hui menacés par la biopiraterie et l’appropriation abusive via le système des brevets.
Le cas emblématique du neem, arbre aux multiples vertus originaire d’Inde, illustre parfaitement cette problématique. En 1994, la société américaine W.R. Grace a obtenu un brevet européen sur un fongicide dérivé du neem, suscitant l’indignation des autorités indiennes qui ont dû batailler pendant des années pour faire annuler ce brevet en 2000.
Le droit des brevets : un système inadapté ?
Le système des brevets, conçu pour protéger les inventions et stimuler l’innovation, se révèle souvent inadapté à la nature même des savoirs traditionnels. Les critères de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle requis pour l’obtention d’un brevet sont difficilement applicables à des connaissances ancestrales, orales et collectives.
De plus, la durée limitée de la protection offerte par un brevet (généralement 20 ans) ne correspond pas à la volonté des communautés de préserver leurs savoirs sur le long terme. Enfin, le coût et la complexité des procédures de dépôt et de maintien des brevets sont souvent hors de portée pour ces communautés.
Les initiatives internationales pour une meilleure protection
Face à ces défis, plusieurs organisations internationales se sont emparées du sujet. L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a créé en 2000 un Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC). Ce comité travaille depuis sur l’élaboration d’un instrument juridique international pour la protection des savoirs traditionnels.
La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 et le Protocole de Nagoya de 2010 ont quant à eux posé les bases d’un système d’accès et de partage des avantages (APA) visant à assurer une juste rémunération des communautés pour l’utilisation de leurs savoirs et ressources.
Les solutions envisagées : entre adaptation et innovation juridique
Plusieurs pistes sont explorées pour mieux protéger les savoirs traditionnels tout en respectant le cadre du droit des brevets :
1. La divulgation de l’origine : certains pays comme l’Inde, le Brésil ou la Suisse ont introduit dans leur législation l’obligation pour les déposants de brevets de révéler l’origine des ressources génétiques et des savoirs traditionnels utilisés dans leur invention.
2. Les bases de données : l’Inde a développé la Traditional Knowledge Digital Library (TKDL), une base de données recensant les savoirs traditionnels indiens accessible aux offices de brevets du monde entier pour faciliter la recherche d’antériorités.
3. Les systèmes sui generis : certains pays comme le Pérou ou les Philippines ont mis en place des régimes de protection spécifiques pour les savoirs traditionnels, distincts du système des brevets.
4. Le consentement préalable et éclairé : l’obtention du consentement des communautés avant toute utilisation de leurs savoirs est de plus en plus reconnue comme un prérequis essentiel.
Les défis persistants et les perspectives d’avenir
Malgré ces avancées, de nombreux défis subsistent. La définition même des savoirs traditionnels reste sujette à débat, tout comme la question de leur titularité (individuelle ou collective). La mise en œuvre effective des mécanismes de protection au niveau national et international demeure problématique.
L’avenir de la protection des savoirs traditionnels passera probablement par une approche holistique, combinant des éléments du droit de la propriété intellectuelle, du droit de l’environnement et des droits de l’homme. Le développement de partenariats équitables entre communautés, chercheurs et entreprises pourrait offrir une voie prometteuse pour valoriser ces savoirs tout en respectant les droits de leurs détenteurs.
La protection des savoirs traditionnels dans le droit des brevets représente un défi majeur pour la communauté internationale. Entre préservation du patrimoine culturel et stimulation de l’innovation, l’équilibre reste à trouver. Les solutions émergentes témoignent d’une prise de conscience croissante, mais le chemin vers une protection efficace et équitable est encore long. L’enjeu est de taille : il s’agit non seulement de justice pour les communautés détentrices de ces savoirs, mais aussi de préservation d’un patrimoine inestimable pour l’humanité tout entière.
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